Kaïs Saïed : Populisme et Autoritarisme en Tunisie – Analyse Avant l’Élection

Élu en 2019, Kaïs Saïed se lance dans la course pour un second mandat le 6 octobre prochain. Critiqué pour son approche autoritaire par une opposition réduite au silence, le président tunisien maintient un contrôle strict sur la scène politique, alors que le pays se prépare à des élections marquées par des arrestations et des […]

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Kaïs Saïed : Populisme et Autoritarisme en Tunisie – Analyse Avant l’Élection

Élu en 2019, Kaïs Saïed se lance dans la course pour un second mandat le 6 octobre prochain. Critiqué pour son approche autoritaire par une opposition réduite au silence, le président tunisien maintient un contrôle strict sur la scène politique, alors que le pays se prépare à des élections marquées par des arrestations et des renvois. France 24 s’entretient avec l’essayiste tunisien Hatem Nafti pour faire le point sur la situation.

Lors d’une allocution retransmise dans la nuit du dimanche 25 août, Kaïs Saïed a révélé le renvoi de 19 membres du gouvernement, y compris les titulaires des ministères des Affaires étrangères et de la Défense. Cette décision fait suite à la destitution inattendue du Premier ministre Ahmed Hachani au début du mois d’août, qui a été remplacé par Kamel Madouri.

Le chef de l’État tunisien a expliqué cette purge en invoquant des nécessités liées à la “sécurité nationale”, arguant que cela sert “l’intérêt supérieur de la nation”. Il a déclaré qu’un “système corrompu, dont les protagonistes aspirent à un retour au passé”, a réussi à manipuler de nombreux fonctionnaires et à entraver le bon fonctionnement des institutions.

Le 6 octobre, il devra affronter au moins trois adversaires : Zouhair Maghzaoui, un ancien parlementaire représentant la gauche panarabe, Ayachi Zammel, un homme d’affaires dans la quarantaine et leader d’un parti libéral, et enfin Abdellatif Mekki, qui se positionne comme islamo-conservateur.

La liste finale des postulants devrait être validée durant la semaine du 2 septembre. Plusieurs candidats ont exprimé des préoccupations concernant des obstacles administratifs qui les ont empêchés d’obtenir les documents nécessaires pour le parrainage ainsi qu’un extrait de leur casier judiciaire.

L’écrivain tunisien Hatem Nafti, connu pour ses ouvrages tels que “Tunisie, vers un populisme autoritaire ?” (Riveneuve, 2022) et le prochain “Notre ami Kaïs Saïed. Essai sur la démocrature tunisienne”, qui sera publié le 3 octobre, porte un regard critique sur le mandat présidentiel actuel.

Régime autoritaire, interpellations d’opposants et de voix dissidentes, diffusion de théories conspirationnistes, il s’exprime sur les sujets abordés par France 24.

France 24 : Quel sera le contexte politique lors de l’élection présidentielle prévue le 6 octobre ?

Hatem Nafti : Il est essentiel de souligner que le président en fonction, Kaïs Saïed, a profité de la situation économique et sanitaire pour orchestrer un coup d’État le 25 juillet 2021. Depuis cet événement, il a radicalement modifié le paysage politique, s’orientant vers un système où les prérogatives présidentielles sont extrêmement amplifiées.

Par exemple, il a pris la décision de pouvoir révoquer des juges. Sur la base d’un simple rapport de la police indiquant qu’un juge est impliqué dans des actes de corruption, le président a la possibilité de le renvoyer. Les magistrats qui ne se conforment pas aux attentes de l’exécutif peuvent se voir interdire d’exercer leur fonction ou être déplacés contre leur gré du jour au lendemain. L’exécutif exerce une influence sur le système judiciaire, et le président ne dissimule pas cette réalité.

En réalité, la Tunisie fonctionne sous un système extrêmement présidentiel, où le chef de l’État a le pouvoir de prendre presque toutes les décisions. Kaïs Saïed a exercé son autorité à travers des décrets-lois de septembre 2011 à mars 2023. Avec l’introduction du décret 54 relatif à la cybercriminalité, il a remis en question les avancées en matière de liberté qui avaient été établies depuis la révolution de 2011. En ce qui concerne les infractions liées à la presse, les lois en vigueur jusqu’à présent n’imposaient pas de peines d’emprisonnement pour des cas de diffamation.

Le décret numéro 54 a pour objectif de combattre la désinformation, cependant, de nombreuses personnes se disant proches du président continuent de diffuser des fausses informations, alimentant la haine à toute heure sans être réellement inquiétées. Ce texte semble principalement s’attaquer à l’opposition et aux critiques du gouvernement.

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Qui seront les adversaires du président Kaïs Saïed lors des élections du 6 octobre ?

La sélection des candidats n’est pas encore finalisée, mais une grande partie des opposants se trouve derrière les barreaux. Actuellement, parmi les trois candidats d’opposition sélectionnés, l’un d’eux est contraint de voyager quotidiennement d’une ville à l’autre afin de faire face à des allégations selon lesquelles il aurait manipulé les parrainages requis pour sa candidature.

Mardi, Abdellatif Mekki, ex-ministre de la Santé et ancien membre du parti islamo-conservateur Ennahda, a reçu l’autorisation de se porter candidat. Cependant, un juge d’instruction a imposé des restrictions à ses déplacements, lui interdisant de quitter son quartier, de s’adresser aux médias et d’utiliser les plateformes de réseaux sociaux.

Il est important de noter qu’à la suite du coup d’État, l’autorité électorale autonome, dont les membres avaient été choisis par une majorité qualifiée des deux tiers au sein de l’Assemblée, a été dissoute. Par la suite, le président a pris l’initiative de désigner personnellement les membres d’une nouvelle autorité.

Dans ce cadre, croyez-vous que les citoyens tunisiens participeront aux élections ?

Il est compliqué de se prononcer à ce sujet. Lors des élections législatives de 2022-2023, le taux de participation a oscillé entre 11 et 12 %, établissant ainsi un record à l’échelle mondiale ! Cependant, cette fois-ci, un enjeu majeur est en jeu. Dans la culture tunisienne, l’élection présidentielle revêt une grande importance, à l’instar de ce que l’on observe en France. Tout dépendra du choix des candidats, qui est encore en cours d’évolution.

L’opposition hésite à inciter au boycott, car il existe des candidats crédibles issus des diverses tendances politiques, y compris ceux de l’ancien régime de Ben Ali, les islamistes et les démocrates. Par conséquent, il est compliqué de déterminer la légitimité de ces élections à l’heure actuelle. Cela sera conditionné par l’attitude du gouvernement et la capacité de résistance des partis d’opposition.

Il est important de noter qu’une grande partie de la population exprime un profond mécontentement envers l’ensemble de la classe politique. Beaucoup de citoyens, souvent désabusés, affirment qu’il n’existe pas d’autre option que celle du président. Cela peut engendrer un sentiment de légitimité chez de nombreux Tunisiens, qui perçoivent la période qui a suivi la révolution (2011-2021 NDLR) comme une époque particulièrement difficile.

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Dans vos écrits, vous critiquez les théories du complot souvent évoquées par Kaïs Saïed pour justifier les problèmes rencontrés par la Tunisie. Pensez-vous qu’elles influencent les électeurs ?

Kaïs Saïed attribue l’ensemble de ses revers à des conspirations orchestrées par les anciennes élites ou des forces extérieures. Il justifie chaque difficulté, qu’il s’agisse des problèmes économiques liés aux pénuries ou des effets de la sécheresse qui affecte la Tunisie depuis sept ans, par cette notion de complot.

Face à l’augmentation du nombre de migrants originaires d’Afrique subsaharienne en Tunisie, certains évoquent la notion de “grand remplacement”. Plutôt que de reconnaître que l’Union européenne soutient divers gouvernements pour renforcer la surveillance de ses frontières sud et freiner l’arrivée des migrants vers l’Europe, il est à noter qu’en juillet 2023, la Tunisie a établi un “partenariat stratégique complet” avec l’UE concernant les questions migratoires, incluant une aide directe de 150 millions d’euros.

Son intervention concernant la problématique de la migration trouve un écho favorable chez de nombreux Tunisiens. Chaque jour, ces derniers se rassemblent en file pour se procurer du pain et voient fréquemment les migrants comme des envahisseurs.

Une fraction de la population tunisienne continue de voir Kaïs Saïed comme une barrière face au parti islamiste Ennahda. Cette perception est ancrée dans le contexte politique actuel, où certains citoyens estiment que le président représente une alternative aux idéologies islamistes. Les opinions varient, mais pour une partie des Tunisiens, Saïed incarne une défense des valeurs laïques et une lutte contre l’influence d’Ennahda sur la scène politique.

Non, il est temps de mettre un terme à cela. De nombreuses personnes ont accepté ses promesses lors de son élection en 2019, où il affirmait vouloir éliminer les islamistes. Pourtant, il a intégré la charia dans la Constitution. En matière de laïcité, j’ai vu des exemples de laïcité bien plus marqués.

Il existe une confusion importante parmi les élites en Tunisie ainsi que chez certaines élites occidentales. Kaïs Saïed se positionne comme un populiste, remettant en question le modèle de démocratie représentative. Il rejette l’islam politique, considérant tous les partis comme une forme de déviation. De plus, il s’oppose à toute forme d’organisations intermédiaires, y compris les associations et surtout les ONG, qu’il perçoit comme des instruments des puissances occidentales.

Magalie FavagerM
ÉCRIT PAR

Magalie Favager

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