Ancien ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, Roland Dumas avait également été président du Conseil constitutionnel de 1995 à 2000. Il est mort mercredi à 101 ans, a annoncé son entourage.
Il avait 101 ans. Roland Dumas, ancien ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand et figure du barreau de Paris, est mort mercredi 3 juillet, a appris l’AFP auprès de son entourage. Roland Dumas avait également présidé le Conseil constitutionnel entre 1995 et 2000.
Fidèle de François Mitterrand, sa personnalité de négociateur hors pair, d’esthète et de séducteur l’avait fait traverser la deuxième partie du XXe siècle autant dans les prétoires que sous les ors de la République. Une carrière exceptionnelle toutefois ternie par le scandale Elf qui le contraignit à démissionner de la présidence du Conseil constitutionnel.
“Il a marqué de son empreinte l’histoire de la Ve République”, a salué le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, alors que Jacques Attali, ancien conseiller spécial de François Mitterrand à l’Élysée, a rappelé qu'”après avoir vu son père être fusillé par les nazis, (Roland Dumas) fut un grand acteur de la relation franco-allemande”.
“C’était un personnage de roman. En tant qu’avocat, il était le talent et l’humilité : quand vous le rencontriez, vous appreniez quelque chose”, a pour sa part commenté auprès de l’AFP l’avocat Marcel Ceccaldi, compagnon de prétoire de Roland Dumas, notamment dans la défense de l’ancien dirigeant ivoirien Laurent Gbagbo.
“50 ans de secrets” avec François Mitterrand
L’homme, qui a partagé “50 ans de secrets” avec François Mitterrand dont il a été trois fois ministre, avait une personnalité complexe. Chaleureux et cynique, ce fin collectionneur de tableaux était aussi misogyne et fasciné par l’argent. “Chez Dumas, il n’y a que le volant de sa Porsche qui soit à gauche”, raillait-on au barreau.
Après une jeunesse “tranquille, monotone même”, la vie de l’étudiant en droit, né à Limoges le 23 août 1922, bascule en mars 1944, lorsque son père, un contrôleur des impôts, est fusillé par les Allemands. Une “blessure singulière” qui marque à jamais le jeune homme, lui-même résistant depuis 1942.
Après la guerre, il “monte” à Paris, touche au journalisme et s’inscrit au barreau en 1950. Un temps tenté par le chant lyrique, il devient, au prix d’un travail acharné, l’un des ténors du palais.
Il rencontre François Mitterrand dans des cercles d’anciens résistants. Les deux hommes, qui partagent le même goût pour les arts deviennent proches après l’élection en 1956 de Roland Dumas comme député de la Haute-Vienne. En 1959, François Mitterrand est accusé d’avoir commandité l’attentat des Jardins de l’Observatoire dirigé contre lui-même. Roland Dumas assure sa défense.
Me Dumas est aux premières loges dès qu’un dossier sent le soufre : en pleine guerre d’Algérie, il défend Francis Jeanson, l’organisateur des réseaux du financement du Front de libération nationale (FLN). Puis il plaide pour la partie civile dans l’enlèvement de l’opposant marocain Ben Barka, défend l’un des assassins du député Jean de Broglie et devient l’avocat du Canard Enchaîné notamment contre Valéry Giscard d’Estaing dans l’affaire des diamants de Bokassa.
Il collectionne les clients médiatiques : Chagall, Picasso, le psychanalyste Jacques Lacan ou encore Jean Genet pour qui il nourrit une affection particulière. Homme de réseaux, il rejoint le Grand Orient en 1980.
“Intelligence fulgurante”
En mai 1981, il est le seul fidèle que François Mitterrand n’appelle pas au gouvernement, préférant d’abord en faire son émissaire secret auprès de Kadhafi ou de Bongo. D’abord Européen frileux, il est toutefois nommé ministre des Affaires européennes en 1983. Cet anti-colonialiste devient tout naturellement diplomate et contribue finalement à plusieurs succès européens.
“Dumas peut tout faire à partir du moment où il s’applique”, murmure Mitterrand qui lui offre le Quai d’Orsay dans le gouvernement Fabius (1984), puis à nouveau en 1988. Germanophone, il laisse le souvenir d’un diplomate précieux dans le règlement de la réunification de l’Allemagne.
Dans l’entourage présidentiel, certains admirent son “intelligence fulgurante” mais critiquent sa propension à s’attribuer toutes les décisions majeures de la politique internationale.
En 1995, François Mitterrand le nomme à la tête du Conseil constitutionnel pour succéder à Robert Badinter. “Mitterrand a deux avocats. Badinter, pour le droit ; Dumas, pour le tordu”, ironise Roger-Patrice Pelat, un fidèle du président. Froidement accueilli par les Sages, il parvient bientôt à les séduire et à les convaincre de valider les comptes de campagne de la présidentielle de 1995.
“Les comptes étaient manifestement irréguliers”, avouera-t-il en 2015. “Que faire ? C’était un grave cas de conscience. Annuler l’élection de Chirac aurait eu des conséquences terribles. Je suis convaincu que j’ai sauvé la République en 1995”.
Trois ans plus tard, l’affaire Elf éclate. Soupçonné d’avoir favorisé l’embauche d’une de ses nombreuses maîtresses, Christine Deviers-Joncour, dans des sociétés du groupe pétrolier pour des salaires de complaisance, Roland Dumas est mis en examen. Il démissionne de la présidence du Conseil constitutionnel en mars 2000. C’est une première. Condamné en première instance, le dandy de la République est relaxé en appel en 2003.
Exécuteur testamentaire du sculpteur Alberto Giacometti, il est en revanche condamné en 2007 à un an d’emprisonnement avec sursis et 150 000 euros d’amende pour complicité d’abus de confiance.
Après avoir été très malade, l’octogénaire au brushing blanc impeccable ne craint alors plus rien et multiplie les sorties politiquement incorrectes : il défend l’humoriste Dieudonné après ses déclarations antisémites, flirte avec l’extrême droite.
Imperturbable, infatigable, ce père de trois enfants le demeure jusqu’au bout. Il avouera avoir eu “l’effroyable envie d’en finir” au moment de l’affaire Elf mais estimera plus tard “avoir vécu pleinement”.
Avec AFP
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